Voici une autre analyse pleine d'enseignement... Grand merci à Pascal Gambirasio d'Asseux !
Blason de la famille Dedieu de Samazan
Voici le blasonnement que l’on peut donner des armes figurant sur le manteau de la cheminée. J’ai rectifié celui donné dans le texte qui accompagne les photos, car il utilise des termes qui ne sont pas traditionnels.
« D'azur à la fasce d'argent chargée d'un cercle de sable vuidé d’argent accompagné en son centre d'un carreau aussi de sable, accosté à dextre d'un carreau de gueules vuidé d’argent et à senestre d'un triangle du même accompagné en son centre de cinq clous de sable ».
Il est à noter que, sur les photos, l’on ne distingue pas bien ce qui accompagne ce triangle : lettres ? Figures ? En l’espèce le blasonnement réalisé dans le texte qui accompagne ces photos évoque des clous ; plus précisément cinq clous. Peut- être en référence aux cinq plaies du Christ (le Signaculum Domini de l’iconographie chrétienne) même si cette tradition en ce qui concerne les clous n’en retient que trois, quelquefois quatre (un clou aux deux mains et aux deux pieds ou, plus généralement, un seul clou traversant les deux pieds placés l’un sur l’autre).
Le nom Dedieu laisse supposer cette interprétation ainsi que la devise « Dieu li vou » (Dieu le veut) qui fut d’ailleurs celle des premiers Croisés.
Mais il faudrait vérifier qu’il s’agit bien de clous et non d’autre chose, comme des lettres, par exemple. Rappelons qu’au sein du delta d’or, dans les églises, figurent le saint Nom de Dieu écrit en hébreu : iod, he, vav, he (le Tétragramme ou Ha Schem).
Par ailleurs, les autres éléments iconographiques que vous m’adressez montre un blason avec des figures quelque peu différentes de celles de ce manteau de cheminée, qui induit un blasonnement lui aussi distinct.
En effet, on y voit nettement des symboles alchimiques : le symbole du sel (cercle traversé de son diamètre) au milieu, accosté, à dextre, d’un symbole assez difficile à décrypter : un rectangle posé sur un de ses petits côtés et aux flancs incurvés. Pour certains, il s’agit du symbole du minéral appelé orpiment, pour d’autres l’opération du sublimé ; toutefois, le symbole habituel du sublimé porte un S en son sein et ici, il n’y en a point. Je ne sais donc qu’en penser. Le cercle est accosté, à senestre, d’un triangle, symbole alchimique du feu, cependant il porte des éléments en son centre, ce qui n’est pas conforme à ce symbole précis.
Je dois d’ailleurs préciser qu’il est rare de voir des blasons porter aussi « ostensiblement » des symboles alchimiques. D’où viennent ces différences entre le tracé plus habituel à l’héraldique que l’on voit sur le blason sculpté sur le manteau de la cheminée et les autres iconographies présentées ?
Et quelle est la plus ancienne ?
Bien sûr, s’il fallait retenir les symboles alchimiques, le blasonnement en tiendrait compte et il serait quelque peu différent de celui que je vous ai indiqué au début de ce commentaire.
Dans cette perspective alchimique, l’azur peut être assimilé au sable et, ainsi, rappeler l’œuvre au noir. De même, les lions (les supports du blason) prendraient également leur signification propre à ce domaine : lion vert et lion rouge qui sont les symboles de deux étapes successives du travail au laboratoire et des états de la matière ainsi « travaillée ». Quoique nous ne savons pas si une couleur spécifique leur est attribuée car je ne vois rien de tel sur les photos.
Toujours dans cette perspective, ce que je ne comprends pas c’est la raison de ces trois symboles sur la fasce, alors que, dans la perspective hermétique, on s’attendrait plutôt à voir représentés le soufre, le mercure et le sel, qui sont les composants fondamentaux de cette science. En l’espèce, sel et feu, on peut encore admettre leur juxtaposition, mais pourquoi leur adjoindre cet autre symbole (au demeurant fort rare et d’explication ardue à trouver) qui ne leur « répond » pas, au moins de manière immédiate ; à ce que je peux en connaître, toutefois.
Cela reste un mystère qui trouverait sans doute sa résolution dans l’histoire de la création de ce blason et donc de celle de la famille.
Pour ce qui est de la symbolique des couleurs, des pièces honorables (telles la fasce, en l’espèce) ainsi que des principaux meubles, je me permets de vous renvoyer à mon ouvrage que vous avez l’amabilité de citer dans votre message. Je l’ai d’ailleurs complété d’un autre, paru aux Editions Apopsix en 2018 et intitulé « Lumières et secrets du blason - le langage-clef de la chevalerie ».
La difficulté concernant le décryptage symbolique de votre blason, c’est justement que nous avons deux pistes : l’une relevant des meubles habituels du blason, l’autre des symboles alchimiques, voire que les premiers peuvent « chiffrer » les seconds. C’est la raison pour laquelle l’histoire familiale attachée à ces armes est si importante.
Je suis désolé de ne pas vous apporter plus de matière à réflexion ni d’éclaircissements, mais, en l’état, ce serait hasardeux et pures spéculations.
L’un de vos ancêtres a-t-il été alchimiste ? Sachant que la science héraldique est aussi sœur de l’art hermétique comme elle est celle de la voie d’intériorité chrétienne que l’on nomme mystique ou initiatique (ces deux mots en leurs sens premiers et nobles), la lecture de ce blason, comme souvent, comprend alors un double sens.
Celui de la voie d’intériorité indique un « fond de l’être » animé par la vertu de Justice et un désir de spiritualisation de soi, dont l’essor vers le ciel est ancré et protégé par cette fasce, qui ceint les reins pour les garder, sur cette voie spirituelle, de toute influence mauvaise et leur donner une fécondité à la fois mariale (l’argent) et maternelle (elle est chargée des figures qu’elle fait naître, en quelque manière).
Ces figures sont comme des outils et aussi des opérations (de l’âme avant tout) : le cercle ou le sel de la terre, rappelé dans l’Evangile : sagesse, droiture, désir d’édification spirituelle ; le triangle ou feu de l’Esprit-Saint qui embrase l’âme de « l’homme de bonne volonté » de l’amour de Dieu et de son prochain, sourcés dans la Passion du Christ, « synthétisée » par les clous ; enfin, le carreau symbolisant une enceinte sacrée, donc une ville et, on peut le penser in fine, l’image discrète de la Cité Sainte de l’Agneau, décrite par l’Apocalypse de Jean, vraie Pierre Philosophale, en vérité.
Voilà une sorte d’aperçus de ce qui peut se « lire » dans votre blason en l’état de nos informations sur celui-ci.
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L'analyse de Monsieur Benhaeghel est, en tout cas, très riche et intéressante sur le plan hermétique.
Bien sûr, le blason ovale est celui des Dame et renvoie donc à l'oeuf de la fécondité ainsi qu'à ce que certaines Traditions appellent "l'oeuf cosmique" et l'on voit également des gravures d'alchimie où le philosophe par le feu (l'alchimiste) s'apprête à briser la coquille d'un oeuf de son épée, ce qui est la traduction imagée de l'une des opérations principales du Grand Oeuvre. Mais on trouve également des blasons de forme ovale à partir du XVIIème siècle, quelque soit le ************ du porteur d'armoiries. Les Grandes Armes de France sont d'ailleurs, à compter de cette époque, figurées dans un écu ovale. Il était alors considéré comme plus esthétique de dessiner ce type de cartouche aux lieu et place d'un écu d'armes chevaleresque. Donc, il ne faut pas s'attacher à cette forme pour en déduire systématiquement qu'il s'agit du blason porté par une Dame, mais plutôt qu'il s'inscrit dans cette mode héraldique évoquée. Sur les pièces d'argenterie, en particulier, cette forme ovale est très usitée.
Le symbole du rectangle dressé et aux flancs incurvés vers l'intérieur (donc concaves) : je n'ai presque rien trouvé à ce propos. En touts cas, à ma connaissance et au regard de mes recherches, le symbole alchimique de l'arsenic ou arsenic jaune ne m'apparaît pas correspondre à ce dessin. Cela m'étonnerait également qu'il se rapporte à un athanor car, héraldiquement, celui-ci est plus immédiatement figuré tout simplement comme un four ; ni qu'il dessine une tour car il ne présente aucune des représentations héraldiques caractéristiques de ce meuble (qui, soit dit en passant, peut aussi signifier à la fois une tour et un four, mais de manière plus discrète).
Cordialement,
Pascal Gambirasio d’Asseux - Janvier 2021 (il a publié plusieurs ouvrages - qui sont aujourd'hui des références reconnues - sur la dimension spirituelle de la chevalerie et de l'héraldique ou science du blason, sur la nature chrétienne de la royauté française et du roi de France ainsi que sur la voie initiatique chrétienne en tant que chemin d'intériorité et de rencontre avec Dieu...)