J'ai écrit un article sur ce sujet, il y a quelques temps :
BRISURE ET SURBRISURE :
L’EXEMPLE DES ALIROL
Il a fallu la mise en vente en 2006 d’une maison de la rue de la Renardanche, à Solignac, pour découvrir , gravées sur le linteau d’une cheminée, des armoiries qui peuvent être attribuées à André Alirol, notaire et procureur juridictionnel de la baronnie de Solignac, ou à son fils ainé, Pierre, qui remplit les mêmes fonctions après lui .
Cette cheminée monumentale se trouve au rez-de-chaussée d’un bâtiment accolé à l’arrière du « château », avec lequel il communiquait dans le passé, au regard de plusieurs portes actuellement murées. La datation de la construction est difficile à déterminer en l’absence d’éléments caractéristiques.
La salle du rez-de-chaussée, transformée depuis de longues années en remise, avait perdu toute trace de décor, à l’exception de la cheminée, dont il n’est pas certain qu’elle n’ait pas été rapportée : en effet, elle ne fait pas corps avec le mur d’appui.
En revanche, les appartements de l’étage, quoique fort endommagés, conservaient, outre un galandage de pierres volcaniques (« trifous »), des dessus de porte ornés de panneaux peints de paysages en camaïeu, qui ne paraissent cependant pas remonter au-delà du début du XIXe siècle.
S’agissant de la cheminée, elle comporte un linteau de grès à base moulurée d’environ 3,50 m x 0,50 m, reposant sur deux jambages de basalte, d’une hauteur de 1,80 m, surmontés de deux corbeaux de grès. Il convient de relever qu’au lieu d’être posé sur les corbeaux qui restent donc saillants, le linteau est repoussé contre le manteau, à la verticale des jambages.
À chacune de ses extrémités, il est orné de motifs stylisés : deux gros cabochons circulaires en relief, séparés par une croix pattée alésée arrondie, au pied fiché, creusée dans le basalte, dont la facture soignée paraît ancienne.
Au centre, figurent (ajoutées ultérieurement ?) des armoiries gravées, d’une réalisation assez sommaire, placées à l’intérieur d’un double cercle (diamètre : 0,30-0,34 cm). L’écu de forme classique est agrémenté de deux motifs enroulés très simples à chacun des angles supérieurs. Il est surmonté d’un heaume de profil à trois grilles, censé indiquer la qualité de gentilhomme du titulaire.
Photo du linteau avec les armes gravées
Ces armes, dépourvues de hachures indiquant les couleurs, se lisent de la manière suivante : de…, au chevron de …, accompagné en pointe d’un cœur de …, au chef de …, à 3 étoiles de… Le tracé du cœur et surtout celui des étoiles, assez fruste, évoque plutôt un dessin à main levé qu’une sculpture !
La découverte faite, il fut assez aisé d’attribuer ces armes. Il s’agissait évidemment de celles de la famille Alirol qui figurent, avec une légère différence, en illustration du chapitre « Du chevron », dans le « Nouveau traité des armoiries ou la science et l’art du blason expliqué », de Victor Boudon , avec la mention : « Alirol, en Vivarais (sic), porte : d’or, au chev. de gu., acc. en pointe d’un cœur de même ; au chef d’az., chargé de 2 étoiles d’arg. »
Photo des armes tirées de V. Boudon (n°416)
Dans son armorial, Georges Paul , reprend la même description qui correspond à celle des armes enregistrés par Sébastien Alirol en 1696 et figurent à ce titre dans l’« Armorial général de la France », de Charles d’Hozier .
En revanche, Gaston de Jourda de Vaux , dont l’étude se limite aux Alirol de Tressac, décrit : D’or, au chevron de gueules, accompagné en chef de 2 croissants d’azur, et en pointe d’un cœur de gueules ; au chef d’azur, chargé de 3 étoiles d’argent.
Quant à Henri Jougla de Morenas , il semble amalgamer les deux lectures, lui aussi sous l’intitulé réductif d’Alirol de Tressac : « D’or, au chevron de gueules, accomp. (en chef de 2 croissants d’azur, et) en pointe d’un cœur de gueules ; au chef d’azur à 3 étoiles d’argent.
Il est inhabituel de rencontrer ce type de variations dans des armes d’une même famille.
L’explication est sans doute fournie par Albert Boudon-Lashermes : les armes des Alirol de Tressac « sont comme [celles enregistrées par Sébastien Alirol] une brisure des Alirol, de Ceyssac, dont la branche aînée blasonnait : d’azur, au cœur de gueules, accompagné de 3 étoiles d’argent en chef et d’un croissant de même en pointe. »
La définition de la brisure est donnée par le Père Ménestrier : « Brisé se dit des armoiries des puînés et cadets d’une famille, où il y a quelque changement par addition, diminution ou altération de quelque pièce pour distinction des branches. »
En effet, dans une famille, seul l’aîné de la branche aînée, a en principe le droit de porter les armes « pleines », c’est-à-dire intactes. Tous les autres y apportent une légère modification appelée brisure, afin de montrer qu’ils ne sont pas chefs de nom et d’armes. La brisure consiste donc en un changement destiné à distinguer les branches et les individus à l’intérieur d’une même famille.
Les manières de briser sont nombreuses et varient au fil des âges, en fonction des régions et selon les lignées, sans qu’il existe de système codifié. En résumé, on brisait par la modification des émaux ; par le changement des figures, soit en augmentant ou en diminuant leur nombre, soit en modifiant leur forme ou leur position ; enfin par l’addition d’une nouvelle figure, notamment le lambel , la bordure , la bande , la cotice ou le bâton .
On appelle « surbrisures » des brisures au second degré que l’on fait subir à des armes déjà brisées . Les procédés employés restent les mêmes que pour les brisures, auxquels ils s’ajoutent : par exemple, le fait de charger le lambel de petites figures, d’engrêler une cotice ou une bordure, de charger de petits meubles une bande, une bordure, un chef « plain » , etc.
Si, au XIIIe siècle, haute et petite noblesse usent des brisures, ce n’est plus le cas au XVe siècle où seule la haute noblesse continue de briser régulièrement, le phénomène de désaffection ne cessant de s’accentuer tout au long de la période moderne, l’emploi des brisures, et plus encore des surbrisures, n’étant plus réservé qu’à quelques grandes lignées. Tombées en désuétude, à cause de la confusion qui pouvait en résulter, ces pratiques ne se sont maintenues qu’au regard de l’adjonction d’une pièce peu importante, telle qu’une étoile, une coquille, qui n’altère pas considérablement les armes. Mais même ce type de brisure se borne actuellement à l’addition d’un lambel dans les armes de quelques maisons souveraines et dans celle d’un croissant ou d’une étoile dans celles du peerage britannique.
Aussi paradoxal que cela paraisse à la suite de cette présentation, les armes découvertes sur la cheminée de la rue de la Renardanche témoigne d’un usage de la brisure (et de la surbrisure au 3e degré), entre 1650 et 1750, par une famille de Solignac, dont l’extraction reste modeste et qui n’appartenait pas formellement à la noblesse, en dépit du heaume qui timbre l’écu. Cet exemple singulier fournit par conséquent une illustration – anachronique – tout à fait intéressante, et inexpliquée, d’un usage tombé en désuétude.
Si l’on s’en tient à l’affirmation d’A. Boudon-Lashermes, les armes pleines des Alirol sont celles que porte Pierre Alirol, l’aîné des fils d’André Alirol et d’Antoinette Mouton, de Ceyssac.
L’écu gravé sur la cheminée, dont la description ne correspond qu’à une des variantes fournies par Jougla de Morenas – ce qui permet de rétablir les couleurs – en constituerait une brisure assez complexe puisqu’elle se traduit par :
- la modification du champ qui, d’azur, devient d’or, un métal se substituant à l’émail ;
- l’adjonction d’un chef (restant d’azur) à l’intérieur duquel sont placées les trois étoiles ;
- l’introduction d’un chevron de gueules ;
- la suppression du croissant en pointe.
A priori, un seul de ces changements aurait été suffisant, mais rien n’interdit de penser qu’une première brisure avait été apportée par Matthieu Alirol, praticien de Ceyssac, le deuxième fils de la fratrie.
Les armes de la cheminée de Solignac correspondent par conséquent à André Alirol, le dernier des frères, qui exerçaient les fonctions de notaire royal et de procureur fiscal, dont la vie est relativement bien connue grâce aux annotations, souvent partiales, du Journal d’Hugues Aulanier, curé du Brignon, la paroisse voisine. Ou à son fils aîné.
Les armoiries enregistrées en 1696 par d’Hozier sont celles de Sébastien Alirol, notaire du Puy, greffier de la cour commune comme son oncle Pierre et son frère André, avant lui, consul du Puy. Né le 24 février 1634, il est le 6e enfant d’André Alirol et de Marie Besses. En tant que cadet, il surbrise les armes paternelles par la suppression d’une des trois étoiles d’agent placées en chef, ce qui est tout à fait conforme aux règles établies en la matière.
De son mariage avec Demoiselle Françoise Longhon, fille de Pierre Longhon, marchand boucher et consul du Puy, est issu Pierre, l’aîné, né le 21 septembre 1667, qui a dû porter les armes enregistrées par son père dans son âge mûr.
Pierre Alirol, bourgeois du Puy, épouse vers 1694 Marguerite Chirol, fille de noble C. Chirol, sieur du Fieu, et de Gabrielle Surrel. Leur troisième fils, Pierre François, né le 28 avril 1707, avocat en parlement, est seigneur de Tressac en 1755 .
Les armoiries qu’on lui connaît constituent une brisure au 3e degré consistant non seulement en l’adjonction, de part et d’autre du chevron, de deux croissants d’azur, repris des armes pleines d’origine, mais en la restitution de la troisième étoile en chef.
Cette branche des Alirol s’étant éteinte par le mariage, le 22 juin 1763, de Marguerite, fille de Pierre Alirol de Tressac, avec Hugues-Charles de Chardon des Roys, il n’est pas possible de dire si la déclinaison de ces armes se serait poursuivie.
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Le tableau des armes brisées et subrisées se présente donc comme une sorte de double de l’arbre généalogique de la famille et permet d’en suivre les différentes branches et ramifications.
Déclinaison des brisures et surbrisures des armes Alirol
L’intérêt de la découverte de Solignac, c’est que les armes représentées sur la cheminée ne sont pas recensées par les différents armoriaux, à l’exception de Jougla de Morenas, encore que ce soit indirectement ! Dans ces conditions, il était loisible de penser que le blason enregistré par d’Hozier à la demande de Sébastien Alirol avaient été précédemment celles de son père. On constate que ce n’était pas le cas. Il n’y a pas lieu de supposer à cet égard une fantaisie du Héraut d’Armes, puisque les trois étoiles en chef sont un classique de l’héraldique.
Une lacune est donc comblée au regard d’André Alirol dont on connaît avec exactitude, à présent, les armes, sachant en outre qu’il les timbrait d’un heaume.
Néanmoins, faute de documents, la présence de la cheminée dans ce bâtiment, dont on ne peut dater précisément l’époque de construction, est loin de donner l’assurance qu’il s’agissait de sa demeure…