Armes du peuple, armes du juste milieu
CONTEXTE
« La Caricature » contre la monarchie de Juillet
« Nous cherchons à nous tenir dans le juste milieu, également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal », déclare Louis-Philippe en janvier 1831 ; cette formule excite la dérision de la presse d’opposition.
En accédant au trône, lors de la révolution de 1830, le roi a dû appeler au pouvoir de francs libéraux comme La Fayette, Laffitte, qui l’y ont porté. Ils veulent une politique hardie de réformes démocratiques à l’intérieur et d’interventions au-dehors en faveur des populations opprimées ; ils forment ce que l’on appelle le « parti du mouvement ». Louis-Philippe rompt avec eux dès qu’il le peut, en mars 1831, et ne gouverne plus qu’avec les conservateurs, le parti de la résistance.
Les contemporains ressentent le style du nouveau pouvoir comme « une sorte de rapetissement universel » (Tocqueville). Sensible aux frustrations que ce contexte suscite dans l’opinion, Charles Philipon invente un type de journal satirique inconnu en France, que permet la liberté d’expression. Il prend le contrôle de La Caricature, revue à la mode ornée de lithographies, et la transforme en machine de guerre contre le régime. Il organise une véritable affaire commerciale pour publier plusieurs journaux satiriques et diffuse aussi des estampes et caricatures par l’imprimerie Aubert, la plus grosse imprimerie de lithographie à Paris, que tient son beau-frère. Chaque numéro de La Caricature s’accompagne de lithographies non reliées pour pouvoir être exposées ou encadrées séparément. Le lecteur du journal peut même recevoir les estampes avec ou sans le texte tendancieux, au choix.
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
Notes
1. retour
Satire du discours de Sébastiani à l'Assemblée sur la non-intervention de la France en Pologne (La Caricature, 24 mars 1831)
Messieurs, (une foule de voix : bien, très bien) je suis (bravo) je suis un pleutre (bien ! bien ! marques universelles d'assentiment) un couard (adhésion générale). Je laisserai battre mes voisins (c'est juste ! c'est bien), je laisserai pendre mon frère (bravo ! bravo !), violer ma sœur (attendrissement approbatif), égorger mes amis (trépignement et pleurs de joie dans l'auditoire), mais si les égorgeurs me demandent mon avis, je leur dirai hardiment : faites ce que vous voudrez, je n'y consens pas. Néanmoins, messieurs, comme l'honneur et la dignité me défendent de me mêler des affaires des autres, je ne m'en mêlerai pas. (Vive sensation) Oh ! si quelqu'un me crachait cent fois au visage, s'il me battait, s'il me chassait de mon logis, enfin si de son pied il menaçait le juste milieu, alors, messieurs, je résisterais, car je suis fort, je suis courageux, j'ai l'âme grande et fière, j'ai des armes et j'appellerai tout le monde à mon secours. (L'assemblée sanglote d'admiration). La Caricature, 24 mars 1831
ANALYSE
Caricaturiste lui-même, Charles Philipon s’est fait une spécialité de l’héraldique satirique. Toujours porté aux confrontations, il symbolise, le 17 mai 1831, l’opposition entre le pouvoir populaire et le nouveau pouvoir royal, lequel se proclame au « juste milieu » et que La Fayette a salué comme la « meilleure des républiques ». Imprimée en couleur sur un papier de qualité, cette lithographie était destinée à être encadrée.
Armes du peuple
Les rayons de soleil radieux rendent plus sommaires encore les armes du peuple. Sous le bonnet rouge à cocarde soutenu par des faisceaux, symbole de l’héritage révolutionnaire, figure un blason orné de trois pavés bruts. Derrière se croisent la pique qui sert à les desceller du sol pour construire les barricades, et le balai destiné au nettoyage lors de la remise en ordre qui suit inévitablement. La lanterne si fameuse sous la Révolution, mais passablement cabossée quarante ans plus tard, fait pendant au shako de garde national orné d’un plumet rouge. Car la milice bourgeoise, reconstituée en juillet 1830, bénéficie d’une légitimité populaire. La croix de Juillet à trois branches, créée pour récompenser les héros des Trois Glorieuses, pend devant une banderole « Misère toujours misère », qui résume l’univers du peuple.
À cette date où les revendications populaires sont politiques et n’ont encore aucun caractère social, Philipon met l’accent sur ce fol espoir de transformations révolutionnaires, alors que la misère quotidienne du peuple est considérable. On estime que la pauvreté touche les trois quarts de la population parisienne à cette époque.
Armes du juste milieu
Hétéroclites et sans dignité, les armes imaginées par Philipon pour la nouvelle monarchie composent un assemblage cocasse. Entre la fleur de lys royale et l’abeille impériale, le volatile déplumé, à queue verte, occupé à picorer un vers, donne d’emblée une idée aussi saugrenue que peu reluisante du « juste milieu ». Un casque fantaisiste, flanqué de la cocarde tricolore républicaine et de la cocarde blanche de la royauté, arbore un nœud coquet mais sans gloire, bien dans le goût de la bourgeoisie en place. Derrière se croisent deux clystères ; ces objets, qui évoquent la farce depuis Rabelais et Molière, viennent d’apparaître dans les caricatures – ils sont associés au commandant de la garde nationale, Lobau, qui avait utilisé des lances à incendie plutôt que des armes pour disperser une manifestation. Symboles depuis de la milice bourgeoise, ils désignent ici le régime.
Du côté gauche s’étalent avec une ironie mordante des affaires aux conséquences parfois dramatiques, que le pouvoir n’a pas su empêcher. Le service organisé les 14 et 15 février 1831 à la mémoire du duc de Berry a ainsi suscité une violente riposte d’anticléricalisme populaire, le pillage de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois et de l’archevêché. À droite, les coûts de la police secrète suggèrent que le pouvoir tient tous les secteurs par la corruption.
Favorable au parti du mouvement, le journal La Caricature se démarque du gouvernement et fait campagne pour la guerre en mars 1831, lorsque l’armée russe intervient pour réduire la révolution polonaise. Les deux banderoles « Mieux vaut la honte que la guerre » et « La France n’y consentira pas », qui déshonorent les couleurs nationales, reprennent le mot d’ordre de la politique du ministre des Affaires étrangères, Sebastiani, qui développe une théorie de non-intervention tout en déclarant que la France désapprouve l’attaque russe. La Caricature a déjà publié la justification qu’il a fournie à la non-intervention de la France en Pologne et l’a présentée comme une transcription exacte des débats à la Chambre[1].
Niaises et révoltantes de fadeur et de bassesse, ces armes dénoncent le caractère artificiel de la monarchie de Juillet.
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
Notes
1. retour
Satire du discours de Sébastiani à l'Assemblée sur la non-intervention de la France en Pologne (La Caricature, 24 mars 1831)
Messieurs, (une foule de voix : bien, très bien) je suis (bravo) je suis un pleutre (bien ! bien ! marques universelles d'assentiment) un couard (adhésion générale). Je laisserai battre mes voisins (c'est juste ! c'est bien), je laisserai pendre mon frère (bravo ! bravo !), violer ma sœur (attendrissement approbatif), égorger mes amis (trépignement et pleurs de joie dans l'auditoire), mais si les égorgeurs me demandent mon avis, je leur dirai hardiment : faites ce que vous voudrez, je n'y consens pas. Néanmoins, messieurs, comme l'honneur et la dignité me défendent de me mêler des affaires des autres, je ne m'en mêlerai pas. (Vive sensation) Oh ! si quelqu'un me crachait cent fois au visage, s'il me battait, s'il me chassait de mon logis, enfin si de son pied il menaçait le juste milieu, alors, messieurs, je résisterais, car je suis fort, je suis courageux, j'ai l'âme grande et fière, j'ai des armes et j'appellerai tout le monde à mon secours. (L'assemblée sanglote d'admiration). La Caricature, 24 mars 1831
Source : http://www.histoire-image.org/pleincadre/index.php?i=555
CONTEXTE
« La Caricature » contre la monarchie de Juillet
« Nous cherchons à nous tenir dans le juste milieu, également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal », déclare Louis-Philippe en janvier 1831 ; cette formule excite la dérision de la presse d’opposition.
En accédant au trône, lors de la révolution de 1830, le roi a dû appeler au pouvoir de francs libéraux comme La Fayette, Laffitte, qui l’y ont porté. Ils veulent une politique hardie de réformes démocratiques à l’intérieur et d’interventions au-dehors en faveur des populations opprimées ; ils forment ce que l’on appelle le « parti du mouvement ». Louis-Philippe rompt avec eux dès qu’il le peut, en mars 1831, et ne gouverne plus qu’avec les conservateurs, le parti de la résistance.
Les contemporains ressentent le style du nouveau pouvoir comme « une sorte de rapetissement universel » (Tocqueville). Sensible aux frustrations que ce contexte suscite dans l’opinion, Charles Philipon invente un type de journal satirique inconnu en France, que permet la liberté d’expression. Il prend le contrôle de La Caricature, revue à la mode ornée de lithographies, et la transforme en machine de guerre contre le régime. Il organise une véritable affaire commerciale pour publier plusieurs journaux satiriques et diffuse aussi des estampes et caricatures par l’imprimerie Aubert, la plus grosse imprimerie de lithographie à Paris, que tient son beau-frère. Chaque numéro de La Caricature s’accompagne de lithographies non reliées pour pouvoir être exposées ou encadrées séparément. Le lecteur du journal peut même recevoir les estampes avec ou sans le texte tendancieux, au choix.
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
Notes
1. retour
Satire du discours de Sébastiani à l'Assemblée sur la non-intervention de la France en Pologne (La Caricature, 24 mars 1831)
Messieurs, (une foule de voix : bien, très bien) je suis (bravo) je suis un pleutre (bien ! bien ! marques universelles d'assentiment) un couard (adhésion générale). Je laisserai battre mes voisins (c'est juste ! c'est bien), je laisserai pendre mon frère (bravo ! bravo !), violer ma sœur (attendrissement approbatif), égorger mes amis (trépignement et pleurs de joie dans l'auditoire), mais si les égorgeurs me demandent mon avis, je leur dirai hardiment : faites ce que vous voudrez, je n'y consens pas. Néanmoins, messieurs, comme l'honneur et la dignité me défendent de me mêler des affaires des autres, je ne m'en mêlerai pas. (Vive sensation) Oh ! si quelqu'un me crachait cent fois au visage, s'il me battait, s'il me chassait de mon logis, enfin si de son pied il menaçait le juste milieu, alors, messieurs, je résisterais, car je suis fort, je suis courageux, j'ai l'âme grande et fière, j'ai des armes et j'appellerai tout le monde à mon secours. (L'assemblée sanglote d'admiration). La Caricature, 24 mars 1831
ANALYSE
Caricaturiste lui-même, Charles Philipon s’est fait une spécialité de l’héraldique satirique. Toujours porté aux confrontations, il symbolise, le 17 mai 1831, l’opposition entre le pouvoir populaire et le nouveau pouvoir royal, lequel se proclame au « juste milieu » et que La Fayette a salué comme la « meilleure des républiques ». Imprimée en couleur sur un papier de qualité, cette lithographie était destinée à être encadrée.
Armes du peuple
Les rayons de soleil radieux rendent plus sommaires encore les armes du peuple. Sous le bonnet rouge à cocarde soutenu par des faisceaux, symbole de l’héritage révolutionnaire, figure un blason orné de trois pavés bruts. Derrière se croisent la pique qui sert à les desceller du sol pour construire les barricades, et le balai destiné au nettoyage lors de la remise en ordre qui suit inévitablement. La lanterne si fameuse sous la Révolution, mais passablement cabossée quarante ans plus tard, fait pendant au shako de garde national orné d’un plumet rouge. Car la milice bourgeoise, reconstituée en juillet 1830, bénéficie d’une légitimité populaire. La croix de Juillet à trois branches, créée pour récompenser les héros des Trois Glorieuses, pend devant une banderole « Misère toujours misère », qui résume l’univers du peuple.
À cette date où les revendications populaires sont politiques et n’ont encore aucun caractère social, Philipon met l’accent sur ce fol espoir de transformations révolutionnaires, alors que la misère quotidienne du peuple est considérable. On estime que la pauvreté touche les trois quarts de la population parisienne à cette époque.
Armes du juste milieu
Hétéroclites et sans dignité, les armes imaginées par Philipon pour la nouvelle monarchie composent un assemblage cocasse. Entre la fleur de lys royale et l’abeille impériale, le volatile déplumé, à queue verte, occupé à picorer un vers, donne d’emblée une idée aussi saugrenue que peu reluisante du « juste milieu ». Un casque fantaisiste, flanqué de la cocarde tricolore républicaine et de la cocarde blanche de la royauté, arbore un nœud coquet mais sans gloire, bien dans le goût de la bourgeoisie en place. Derrière se croisent deux clystères ; ces objets, qui évoquent la farce depuis Rabelais et Molière, viennent d’apparaître dans les caricatures – ils sont associés au commandant de la garde nationale, Lobau, qui avait utilisé des lances à incendie plutôt que des armes pour disperser une manifestation. Symboles depuis de la milice bourgeoise, ils désignent ici le régime.
Du côté gauche s’étalent avec une ironie mordante des affaires aux conséquences parfois dramatiques, que le pouvoir n’a pas su empêcher. Le service organisé les 14 et 15 février 1831 à la mémoire du duc de Berry a ainsi suscité une violente riposte d’anticléricalisme populaire, le pillage de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois et de l’archevêché. À droite, les coûts de la police secrète suggèrent que le pouvoir tient tous les secteurs par la corruption.
Favorable au parti du mouvement, le journal La Caricature se démarque du gouvernement et fait campagne pour la guerre en mars 1831, lorsque l’armée russe intervient pour réduire la révolution polonaise. Les deux banderoles « Mieux vaut la honte que la guerre » et « La France n’y consentira pas », qui déshonorent les couleurs nationales, reprennent le mot d’ordre de la politique du ministre des Affaires étrangères, Sebastiani, qui développe une théorie de non-intervention tout en déclarant que la France désapprouve l’attaque russe. La Caricature a déjà publié la justification qu’il a fournie à la non-intervention de la France en Pologne et l’a présentée comme une transcription exacte des débats à la Chambre[1].
Niaises et révoltantes de fadeur et de bassesse, ces armes dénoncent le caractère artificiel de la monarchie de Juillet.
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
Notes
1. retour
Satire du discours de Sébastiani à l'Assemblée sur la non-intervention de la France en Pologne (La Caricature, 24 mars 1831)
Messieurs, (une foule de voix : bien, très bien) je suis (bravo) je suis un pleutre (bien ! bien ! marques universelles d'assentiment) un couard (adhésion générale). Je laisserai battre mes voisins (c'est juste ! c'est bien), je laisserai pendre mon frère (bravo ! bravo !), violer ma sœur (attendrissement approbatif), égorger mes amis (trépignement et pleurs de joie dans l'auditoire), mais si les égorgeurs me demandent mon avis, je leur dirai hardiment : faites ce que vous voudrez, je n'y consens pas. Néanmoins, messieurs, comme l'honneur et la dignité me défendent de me mêler des affaires des autres, je ne m'en mêlerai pas. (Vive sensation) Oh ! si quelqu'un me crachait cent fois au visage, s'il me battait, s'il me chassait de mon logis, enfin si de son pied il menaçait le juste milieu, alors, messieurs, je résisterais, car je suis fort, je suis courageux, j'ai l'âme grande et fière, j'ai des armes et j'appellerai tout le monde à mon secours. (L'assemblée sanglote d'admiration). La Caricature, 24 mars 1831
Source : http://www.histoire-image.org/pleincadre/index.php?i=555